Du sable, à perte de vue, un océan de dune. Un paysage aux teintes de rouille et un large horizon d’azur, ce sont ses plus lointains souvenirs. Avant cela, c’est le néant, un seul nom demeure dans son crâne à cette époque et résonne comme un chant cristallin, Ren. Les iris qui se tournent vers la droite et à ses côtés se tient, bien droite et mirettes sombres, une silhouette blonde, un reflet de lui-même. Ren, et Ran. Il est Ran et son frère est Ren, voici la seule chose qu’il sait, son seul souvenir. Sur ses terres inconnues, mais si familières, un panorama qu’ils ont tant de fois contemplé depuis les fenêtres d’une prison glacée, le monde extérieur, tant désiré, ils peuvent enfin l’effleurer du bout des doigts. Du moins, c’est la douce pensée qui les traverse. Et dans leur dos, le feu, une valse ardente qui engloutit une bâtisse d’acier et de plastique. ils lui tournent le dos, à ce sinistre spectacle, seul l’ardeur du brasier qui leur caresse l’échine. Les premiers pas de deux gamins, leurs plus lointains souvenirs, dérobés au prix d’un quelconque sacrifice. Des enfants égoïstes, les premiers pas dans les ténèbres.

L’un guide, l’autre suit. Leur vérité depuis toujours, leur réalité depuis trop longtemps pour être altérée. Une certitude ébranlée le jour où l’éternel désert en décide autrement lors de leur éternelle errance. Une tempête de sable s’abat alors brutalement sur les deux gosses sans expérience, celle-ci les sépare, pour la première fois depuis leur naissance. Ran découvre, après la tempête, l’horreur de la solitude, l’incertitude du vide, le chagrin ainsi que la frustration jusqu’à présent inconnu dans son cœur. Finalement, il décide de partir en quête de la moitié de lui-même, celle qu’on vient de lui arracher. C’est une longue marche, peut être encore plus longue que celle parcourue au côté de son frère. Il ne pourrait le dire, sans repère au cœur de cette mer de dune, il finit par s'effondrer.

Puis il s’éveille, rouvre les yeux une nouvelle fois, sur un décor inconnu, un plafond de bois poussiéreux qu’il ne connaît pas, entouré de visage qu’il aperçoit pour la première fois. Il fut sauvé de justesse par ce qu’on appelle des récupérateurs, des âmes vagabondes qui parcourent le désert en quête de ressources égarées, les vestiges d’une civilisation ancienne. Ran découvre soudainement un nouveau monde, bien plus vivant qu’il le crut. Ce monde n’est pas qu’un désert aride, car ici, des hommes et des femmes se battent pour survivre, pour prospérer. La vie habite toujours ces terres. Il s’installe plusieurs années au sein de ce village désertique, découvre l’étendu de ce monde auprès de ces habitants, malgré le vide qui demeure dans son cœur. Son frère, sa moitié, il l’aura longtemps attendu dans l’espoir qu’il le retrouve ici, un espoir balayé par le temps qui s’écoule, défile à vive allure. Finalement, il ne viendra jamais. Alors Ran devrait aller jusqu’à lui.

Désormais armé de ses connaissances sur ces terres désertiques, sur la civilisation qui l’habite et la volonté de chaque être vivant présent, il peut reprendre la route l’esprit paisible. Il savait qu’ici, une seule loi régnait hors des villes et villages fortifiés, tuer ou être tuer. Il comprit que ce monde était cruel, mais il apprit aussi que ça ne fait pas des hommes des monstres, qu’il y a toujours de l’espoir dans leurs cœurs. Ce monde était fait de lumière et de ténèbres, alors autant tout faire pour que la lumière triomphe, autant la nourrir d’autant d’espoir que possible, même si parfois on peut basculer si facilement de l’autre-côté.

Il ne compte plus les années, depuis longtemps déjà, la course folle du temps. Il ne compte plus les cités, les visages qu’il a croisés. Il ne compte plus le nombre de fois qu’il a fait face à la violence de l’existence, à la cruauté du désert. Il a fini par perdre le fil, seul un désir l’habite, celui de retrouver son frère. Nombre de pistes ont été une impasse, mais pas assez pour qu’il perde espoir. Nombre de rencontres ont détaillé un portrait peu glorieux de Ren et peu à peu, les ombres envahissent le désert, les ténèbres s’épaississent, font des ravages à travers villes et villages. Il commence à entendre un jour parler de spectre noir du désert, de monstre sinistre qui arrache les coeurs. Des récits proches de contes sinistres pour les enfants imprudents, des murmures inquiétants qui prennent, pas à pas, de l’ampleur.  Il n’y porte pas de réel intérêt. Jusqu’à ce que sa route croise l’un de ses fantômes, surgit des plus épaisses ténèbres. Abomination dépourvue de cœur, qui chercher à en dérober. Une nouvelle réalité qui se dessine sous ses yeux.

Un monde dévoré par les ténèbres, un adversaire inconnu jusqu’à présent. Mais pourtant, une sensation si familière, la furie d’un môme égoïste, cette même rage qui l’a libérée de sa prison, qui lui a offert sa liberté. Mais cette fureur à aujourd’hui un arrière goût amer. Guidé par le désir de protéger ceux qu’il a aimés, ceux qu’il a hait, ce monde qui est le sien, il plonge parmi les ombres, en quête de cette menace qui plane sur son monde. Jusqu’à ce que l’atroce vérité éclate au grand jour. Face à lui finit par être découvert une silhouette blonde, déformé par les ombres, mais il le reconnaît, lui qu’il a tant cherché. Ren. Les deux frères se retrouvent, désormais ennemis. Un affrontement fratricide est inévitable, deux volontés qui s’opposent, là se dévoile la nature des deux mômes du désert. L’acier remplace la chair dans un combat impitoyable, une vérité éclate sur leur nature. Au-delà de l’humanité, des enfants artificiels, une expérience cruelle qui fut menée bien des années auparavant, pour faire fleurir la vie sur ces terres arides et impitoyables. Remplacer le réel par le factice, c’était la mission que s'étaient confier certains des plus grands esprits. Un échec retentissant lorsque dans un élan de colère, Ren dévasta leur berceau. Aujourd’hui, c’était Ran qui s’opposa à lui, tandis que sa volonté de destruction ravage leur monde, tandis qu’il se fait dévorer par les ténèbres. Au cœur de l’affrontement, Ren est soudainement totalement happé par les ombres, emportant son frère dans ce déluge infernal. Et ainsi s’achève leur histoire commune, mais une volonté demeure, au cœur des ténèbres.

Ainsi, Ran naquit, à nouveau, sous la forme d’un être dépourvu de cœur, simili de son existence passé. Il ouvrit les yeux sur un voute céleste qui lui était inconnu, les souvenirs brûlant les abîmes de sa psyché, égarés au sein d’un nouveau monde, animé d’un panel de désir nouveau. Vengeance et espoir s’entremêlent dans une valse lugubre. Des premiers pas hésitants, entre sa nouvelle condition et ce nouveau monde. Une infinité de possibilités, mais toujours une unique vérité. Un combat incessant entre la lumière et les ténèbres. Et lui, il se situe à la lisière des deux, alors que de grandes forces s’affrontent par delà mondes et royaumes. Il comprit assez vite que l’univers était bien plus vaste que l’océan de dune qu’il a toujours connu, qu’ils ne furent pas les seuls menacés par les ombres, bien que cela continue à le dépasser, même aujourd’hui. Mais il sait, au fond de lui, qu’il est sûrement parmi eux, parmi ces êtres dépourvus de cœur, qui ne sèment que chaos partout où il passe. Il sait que son coeur n’abrite que ténèbres aujourd’hui, mais il est incapable d’abandonner l’espoir de le ramener à la raison. Incapable d’accepter qu’il soit perdu. Il est la moitié de son âme, son frère jumeau. Et désormais, s’il parcourt les mondes, suit ardemment les échos des batailles, c’est dans l’espoir que leurs chemins se recroiseront un jour. Animés par l’ardent désir de mettre les choses au clair, de réclamer vengeance mais aussi de le sauver.